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Paul VerlaineRomances sans parolesPaysages Belges
"Conquestes du Roy"Vieilles EstampesWalcourtBriques et tuiles O les charmants Petits asiles Pour les amants! Houblons et vignes, Feuilles et fleurs, Tentes insignes Des francs buveurs! Guinguettes claires, Bieres, clameurs, Servantes cheres A tous fumeurs! Gares prochaines, Gais chemins grands... Quelles aubaines, Bons juifs-errants! Juillet 72. CharleroiDans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. Quoi donc se sent? L'avoine siffle. Un buisson gifle L'oeil au passant. Plutot des bouges Que des maisons. Quels horizons De forges rouges! On sent donc quoi? Des gares tonnent, Les yeux s'etonnent, Ou Charleroi? Parfums sinistres! Qu'est-ce que c'est? Quoi bruissait Comme des sistres? Sites brutaux! Oh! votre haleine, Sueur humaine Cris des metaux! Dans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. BruxellesSimples FresquesILa fuite est verdatre et rose Des collines et des rampes Dans un demi-jour de lampes Qui vient brouiller toute chose. L'or, sur les humbles abimes Tout doucement s'ensanglante. Des petits arbres sans cimes Ou quelque oiseau faible chante. Triste a peine tant s'effacent Ces apparences d'automne, Toutes mes langueurs revassent, Que berce l'air monotone. IIL'allee est sans fin Sous le ciel, divin D'etre pale ainsi: Sais-tu qu'on serait Bien sous le secret De ces arbres-ci? Des messieurs bien mis, Sans nul doute amis Des Royers-Collards, Vont vers le chateau: J'estimerais beau D'etre ces vieillards. Le chateau, tout blanc Avec, a son flanc, Le soleil couche, Les champs a l'entour: Oh! que notre amour N'est-il la niche! Estaminet du Jeune Renard, aout 72. BruxellesChevaux dex boisPar saint Gille, Viens-nous-en, Mon agile Alezan! V. Hugo Tournez, tournez, bons chevaux de bois, Tournez cent tours, tournez mille tours, Tournez souvent et tournez toujours Tournez, tournez au son des hautbois. Le gros soldat, la plus grosse bonne Sont sur vos dos comme dans leur chambre, Car en ce jour au bois de la Cambre Les maitres sont tous deux en personne. Tournez, tournez, chevaux de leur coeur, Tandis qu'autour de tous vos tournois Clignote l'oeil du filou sournois Tournez au son du piston vainqueur. C'est ravissant comme ca vous soule D'aller ainsi dans ce cirque bete: Bien dans le ventre et mal dans la tete, Du mal en masse et du bien en foule. Tournez, tournez sans qu'il soit besoin D'user jamais de nuls eperons Pour commander a vos galops ronds, Tournez, tournez, sans espoir de foin Et depechez, chevaux de leur ame: Deja voici que la nuit qui tombe Va reunir pigeon et colombe Loin de la foire et loin de madame. Tournez, tournez! le ciel en velours D'astres en or se vet lentement. Voici partir l'amante et l'amant. Tournez au son joyeux des tambours! Champ de foire de Saint-Gilles, aout 72. MalinesVers les pres le vent cherche noise Aux girouettes, detail fin Du chateau de quelque echevin, Rouge de brique et bleu d'ardoise, Vers les pres clairs, les pres sans fin... Comme les arbres des feeries, Des frenes, vagues frondaisons, Echelonnent mille horizons A ce Sahara de prairies, Trefle, luzerne et blancs gazons. Les wagons filent en silence Parmi ces sites apaises. Dormez, les vaches! Reposez, Doux taureaux de la plaine immense, Sous vos cieux a peine irises! Le train glisse sans un murmure, Chaque wagon est un salon Ou l'on cause bas et d'ou l'on Aime a loisir cette nature Faite a souhait pour Fenelon. Aout 72 Birds in the nightVous n'avez pas eu toute patience: Cela se comprend par malheur, de reste Vous etes si jeune! Et l'insouciance, C'est le lot amer de l'age celeste! Vous n'avez pas eu toute la douceur. Cela par malheur d'ailleurs se comprend; Vous etes si jeune, o ma froide soeur, Que votre coeur doit etre indifferent! Aussi, me voici plein de pardons chastes, Non, certes! joyeux, mais tres calme en somme Bien que je deplore en ces mois nefastes D'etre, grace a vous, le moins heureux homme. Et vous voyez bien que j'avais raison Quand je vous disais, dans mes moments noirs, Que vos yeux, foyers de mes vieux espoirs, Ne couvaient plus rien que la trahison. Vous juriez alors que c'etait mensonge Et votre regard qui mentait lui-meme Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge, Et de votre voix vous disiez: "Je t'aime!" Helas! on se prend toujours au desir Qu'on a d'etre heureux malgre la saison... Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir Quand je m'apercus que j'avais raison! Aussi bien pourquoi me mettrais-je a geindre? Vous ne m'aimiez pas, l'affaire est conclue, Et, ne voulant pas qu'on ose me plaindre, Je souffrirai d'une ame resolue. Oui! je souffrirai, car je vous aimais! Mais je souffrirai comme un bon soldat Blesse qui s'en va dormir a jamais Plein d'amour pour quelque pays ingrat. Vous qui futes ma Belle, ma Cherie, Encor que de vous vienne ma souffrance, N'etes-vous donc pas toujours ma Patrie, Aussi jeune, aussi folle que la France? Or, je ne veux pas - le puis-je d'abord? - Plonger dans ceci mes regards mouilles. Pourtant mon amour que vous croyez mort A peut-etre enfin les yeux dessilles. Mon amour qui n'est plus que souvenance, Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure Encore et qu'il doive, a ce que je pense, Souffrir longtemps jusqu'a ce qu'il en meure, Peut-etre a raison de croire entrevoir En vous un remords (qui n'est pas banal) Et d'entendre dire, en son desespoir, A votre memoire. "Ah! fi! que c'est mal!" Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte. Vous etiez au lit comme fatiguee. Mais, o corps leger que l'amour emporte, Vous bondites nue, eploree et gaie. O quels baisers, quels enlacements fous! J'en riais moi-meme a travers mes pleurs. Certes, ces instants seront, entre tous Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs. Je ne veux revoir de votre sourire Et de vos bons yeux en cette occurrence Et de vous enfin, qu'il faudrait maudire, Et du piege exquis, rien que l'apparence. Je vous vois encore! En robe d'ete Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux. Mais vous n'aviez plus l'humide gaite Du plus delirant de tous nos tantots. La petite epouse et la fille ainee Etait reparue avec la toilette Et c'etait deja notre destinee Qui me regardait sous votre voilette. Soyez pardonnee! Et c'est pour cela Que je garde, helas! avec quelque orgueil, En mon souvenir, qui vous cajola, L'eclair de cote que coulait votre oeil. Par instants je suis le Pauvre Navire Qui court demate parmi la tempete Et, ne voyant pas Notre-Dame luire, Pour l'engouffrement en priant s'apprete. Par instants je meurs la mort du Pecheur Qui se sait damne s'il n'est confesse Et, perdant l'espoir de nul confesseur, Se tord dans l'Enfer, qu'il a devance. O mais! par instants, j'ai l'extase rouge Du premier chretien sous la dent rapace, Qui rit a Jesus temoin, sans que bouge Un poil de sa chair, un nerf de sa face! Bruxelles. Londres, septembre - octobre 72 |
Copyright © Олег Соловьев, 2013 |